vendredi 11 juin 2021

Les Maîtres Enlumineurs de Robert Jackson Bennet : Un croisement éblouissant de genres


Titre original : the Foundryside
Editeur: Albin Michel Imaginaire
Date de parution: 31/03/2021
Nombre de pages: 640 


Résumé :

Toute l’économie de l’opulente cité de Tevanne repose sur une puissante magie : l’enluminure. À l’aide de sceaux complexes, les maîtres enlumineurs donnent aux objets des pouvoirs insoupçonnés et contournent les lois de la physique. Sancia Grado est une jeune voleuse qui a le don de revivre le passé des objets et d’écouter chuchoter leurs enluminures. Engagée par une des grandes familles de la cité pour dérober une étrange clé dans un entrepôt sous très haute surveillance, elle ignore que cet artefact a le pouvoir de changer l’enluminure à jamais : quiconque entrera en sa possession pourra mettre Tevanne à genoux. Poursuivie par un adversaire implacable, Sancia n’aura d’autre choix que de se trouver des alliés.


Mon avis :

Lorsque quelqu'un nous demande d'imaginer un monde fantastique, ce qui nous vient souvent à l'esprit est une œuvre telle que le Seigneur des Anneaux de J.R.R. Tolkien ou la série A Song of Ice and Fire de George R.R. Martin, avec tous les attributs d'une Angleterre bucolique ou d'une Europe médiévale. Mais récemment, un certain nombre d'auteurs ont commencé à imaginer la fantasy avec de nouvelles perspectives, où les motivations et l'histoire de leurs personnages sont ancrées dans des problématiques plus modernes. L'un de ces romans récents est les Maîtres Enlumineurs de Robert Jackson Bennett, le premier d'une nouvelle trilogie qui imagine la magie presque comme un genre d'intelligence artificielle.

les Maîtres Enlumineurs est certainement la découverte de cette année 2021, car il propose une perspective originale de la High Fantasy. Certes, ce n'est pas le premier roman à réimaginer la magie dans un cadre moderne - il existe tout un genre appelé Urban Fantasy, et les œuvres d'auteurs comme Jim Butcher et Patricia Briggs ont donné leur propre tournure moderne au genre. Mais pendant que je lisais les Maîtres Enlumineurs, je ne pouvais m'empêcher d'imaginer que ce livre était essentiellement un roman cyberpunk, enfermé dans les oripeaux d'une fantasy épique. C'est une aventure rafraîchissante et palpitante qui semble tout à fait à propos en 2018 année de sa publication originale, et même en 2021, année de sa sortie française.

Le roman de Bennett se déroule dans la ville de Tevanne, dans un monde où la magie - appelée Enluminure - est répandue dans le monde entier. Il s'agit d'un processus qui confère aux objets une sorte d'intelligence de bas niveau et qui est utilisé pour tout, depuis l'éclairage des rues de la ville jusqu'à faire croire aux fondations des bâtiments qu'elles sont plus solides qu'elles ne le sont en réalité. Une flèche tirée par un arc atteindra sa cible, mais on peut faire croire à une flèche ou une épée enluminée que la gravité est plus importante, ce qui l'incitera à frapper avec plus de force. On peut faire en sorte qu'une porte ne puisse s'ouvrir que lorsqu'elle reçoit un signal particulier, ou à un moment particulier de la journée, etc.

Sancia est une jeune femme qui a grandi à Tevanne et qui a une capacité spéciale : elle peut sentir les objets, le sous-produit d'expériences horribles réalisées sur son cerveau. Si elle touche un objet, elle peut "entrer" dans lui, le voir, l'écouter. C'est une capacité qui rend difficile l'interaction avec le monde qui l'entoure, et surtout avec les personnes ; mais c'est une capacité qui lui est très utile pour son métier de voleuse. 

Elle est engagée pour voler un objet spécial dans un entrepôt très bien gardé, et obtient plus que ce qu'elle avait prévu : une clé, qui semble avoir son propre esprit. Elle apprend que la clé se fait appeler Clef, et qu'elle peut ouvrir n'importe quelle serrure !

Cependant, des forces sont à la recherche de Clef et sont prêtes à tout pour s'en emparer. Des forces obsédées par les Hiérophantes, une ancienne civilisation qui a appris à utiliser les enluminures pour reprogrammer la réalité, la poursuivent voulant traquer les secrets pour faire de même, avec des conséquences désastreuses.

Bien que le roman relève très certainement de la fantasy, c'est la construction de son univers qui fait son originalité. En générale, la fantasy épique prend place dans un monde préindustriel et ne se préoccupe donc pas des enjeux liés aux entreprises ou à l'éthique du capitalisme qui accompagne l'industrialisation. Bennett se concentre ici sur ces sujets, ce qui rend le livre étonnamment pertinent dans le monde d'aujourd'hui, où les grandes entreprises technologiques écrasent leurs concurrents et cherchent à accroître à tout prix leur influence. Ce sont des thèmes qu'on a plus de chances de voir dans la science-fiction ou le thriller.

En effet, les Maîtres Enlumineurs est essentiellement un roman cyberpunk fantastique. Les personnages du livre peuvent être augmentés pour effectuer certaines actions ou tâches, les objets enluminés sont en quelque sorte des intelligences artificielles, et les familles fondatrices, à l'instar des mégacorporations dominent la vie quotidienne, reléguant les gens "normaux" aux communes, une sorte de ghetto dominé par la pauvreté et le crime. 

Il est facile de se servir des codes d'un genre et d'y apporter quelques changements, mais ce qui fait finalement de les Maîtres Enlumineurs une excellente lecture, c'est que Bennett ne se contente pas de tripoter les décors, il utilise la fantasy pour aborder des thèmes comme les effets du capitalisme rampant, l'intelligence artificielle et l'éthique de la technologie, le tout pour raconter une histoire aussi moderne que pertinente, et j'ai déjà hâte de voir ce qu'il fera dans le prochain volet.


Extrait : 

"Toute chose a son prix. Parfois, on le paye en écus ; parfois en temps et en sueur. Et il arrive qu'on le paye en sang. Le sang est, semble-t-il, la monnaie préférée du genre humain. Et nous ne regardons jamais à la dépense, hormis lorsqu'il s'agit du nôtre."



Mot de la fin :

J'ai terminé ce livre en une semaine, avec mon travail de biologiste en temps de pandémie et mon angoisse quasi-permanente. Alors si ce n'est pas une recommandation élogieuse, je ne sais pas ce que c'est. Ce roman m'a fait voyager, rêver, réfléchir, m'a donné des palpitations, et -à plus d'une fois- m'a fait sourire. Foncez, vous allez adorer, parole d'une serial reader!



  

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