jeudi 22 juin 2017

Au fond de l'eau de Paula HAWKINS: Aquatique, noir et captivant!

Titre VO: Into the Water
Editeur: SONATINE
Parution: 08/06/2017
416 pages


Quatrième de couverture:


La veille de sa mort, Nel a appelé sa sœur, Julia. Qui n'a pas voulu lui répondre. Alors que le corps de Nel vient d'être retrouvé dans la rivière qui traverse Beckford, leur ville natale, Julia est effrayée à l'idée de revenir sur les lieux de son enfance. De quoi a-t-elle le plus peur ? D'affronter le prétendu suicide de sa sœur ? De s'occuper de Lena, sa nièce de quinze ans, qu'elle ne connaît pas ? Ou de faire face à un passé qu'elle a toujours fui ? Plus que tout encore, c'est peut-être la rivière qui la terrifie, ces eaux à la fois enchanteresses et mortelles, où, depuis toujours, les tragédies se succèdent.



Mon avis:


En 2015, le premier roman de Paula Hawkins, la Fille du Train, est devenu en quelques semaines un incontournable dans le monde du thriller psychologique. Si vous êtes l'une des rares personnes qui ne l'ont pas lu (ni vu le film), il s'agit d'une femme qui a tout perdu - son mariage, son métier et son estime de soi - et passe la plupart de son temps en état d'ébriété, Souffrant d'amnésies et d'absences et qui se trouve mêlée à une enquête sur la disparition d'une femme dont elle épiait la vie quotidiennement lors de ses passages en train. Vivant dans un brouillard alcoolisé qui l'empêche de distinguer les souvenirs des rêveries, elle découvre néanmoins qu'elle est plus impliquée dans cette histoire qu'elle ne le pensait. Voilà en gros.
L'une des choses les plus intéressantes dans ce livre était la façon dont Hawkins a utilisé le manque de fiabilité des perceptions de son personnage pour déstabiliser le lecteur, qui est obligé de dépister les contradictions et les lacunes pour deviner la vérité..et encore!

Le très attendu Au fond de l'eau emploie également cette procédure de déboussoler le lecteur avec des informations contradictoires, et revisite certains des thèmes centraux de La Fille du Train: mémoire, illusion, perception, duperie...
Mais ici, bien que l'intrigue comporte des décès suspects et des enquêtes criminelles, il existe de nombreux autres éléments qui prennent le dessus à savoir les relations entre les individus, les familles et les communautés.

Le cadre est la petite ville anglaise de Beckford, où, comme dans toutes les petites villes du monde, les vies des habitants entrent en collision et se chevauchent intimement, les malheurs privés sont des connaissances publiques et les étrangers sont considérés avec suspicion. 

Beckford abrite également "le bassin des noyées", une partie de la rivière qui court sous une falaise, dans laquelle de nombreuses femmes dans toute l'histoire de la ville ont rencontré la mort soit par accident, suicide, meurtre ou - dans un cas - un procès de sorcellerie du XVIIe siècle. Ce bassin est devenu un morceau de la mythologie sombre de la ville - "un endroit pour se débarrasser des femmes à problème" comme dirait Nel dans son documentaire.

Aussi placide que l'eau cachant des siècles de cadavres, la ville couvre bien ses propres secrets: des mariages malheureux, des abus, des liaisons extra-conjugales , des angoisses, des mensonges, des crimes et les destinées de ses femmes victimisées.

Le roman commence par la mort de Nel Abbott, une femme qui est retournée à Beckford pour écrire un livre sur l'histoire du bassin des noyées qui l'avait fascinée depuis son enfance. 

Des extraits du manuscrit inédit de Nel - une partie de l'histoire locale, des mémoires partiels - apparaissent tout au long du livre alors qu'elle réinvente les décès de certaines femmes, examine les événements de sa propre vie et romance le phénomène, évoquant une sorte de souffrance commune qui lie les victimes des eaux.

Le projet de Nel l'a rendue impopulaire pour les habitants dont les proches - mères, sœurs, filles, épouses - sont mortes dans cette eau et qui pourraient avoir des raisons sinistres pour vouloir garder le secret. 
Quand Nel elle-même devient l'une des victimes de la rivière, beaucoup se sentent soulagés, même joyeux; Mais il n'y a aucun indice d'une possible lutte, sa mort est considérée comme un accident ou un suicide.

Jules, la sœur cadette de Nel, la voix principale du roman, arrive à Beckford pour identifier le corps et s'occuper de Lena, la fille de 15 ans de Nel, devenant tout à coup responsable d'une nièce qu'elle n'a jamais rencontrée. Lena qui a perdu sa meilleure amie Katie à la rivière, juste quelques semaines avant, un suicide apparent.

Jules est un personnage étrange. Timide et maladroite, elle a une boulimie résiduelle de son enfance et une rancune incurable envers avec sa sœur décédée, avec qui elle n'avait pas parlé depuis les funérailles de leur mère, mais à qui elle parle - tout au long du roman, avec un "Tu" percutant et bouleversant. 
Elle est également prédisposée à des lacunes de mémoire à court terme.

Revenir à Beckford et rencontrer Lena - l'image crachée de Nel à la fois en apparence et en tempérament - rappelle des souvenirs douloureux d'un moment fatidique dans l'enfance des sœurs, un événement dont on ne comprendra le réel impact que tard dans le roman.

Le livre commence rapidement avec une polyphonie directe. Le nombre de personnages ayant une voix (parlant à la première personne) pose problème surtout au début. 

En effet, les 50 premières pages contiennent 12 chapitres courts de neuf points de vue différents, les prénoms sont très facilement confondus à ce stade précoce: Libby, Lena, Louise, Josh, Jules... Certains de ces chapitres ont des dates jointes, d'autres pas; Certains sont écrits à la première personne, certains en troisième personne; Certains sont des extraits du manuscrit de Nel

C'est une introduction un peu déroutante certes, mais heureusement, on s'y habitue rapidement, les personnages sont tellement bien travaillés qu'on distingue les tons et on arrive à suivre. 
Une fois ce problème résolu donc, la lutte pour déterminer à qui on peut faire confiance commence. L'action a lieu au cours du mois suivant la mort de Nel, et la perspective passe rapidement d'une personne à l'autre, révélant à chaque fois des pêchés et des mensonges!

Les noyades de Nel, Katie et plusieurs autres femmes est la pièce maîtresse du livre. Le suspense repose sur des illusions, des coïncidences, des malentendus, une mauvaise communication et beaucoup de faux-semblants. 
Hawkins revient aussi à l'idée du manque de fiabilité de la mémoire, où les souvenirs douloureux sont déformés délibérément ou inconsciemment, et comment les traumatismes infantiles peuvent rendre l'esprit vulnérable à la manipulation, ou enclins à fabriquer des leurres pour combler les lacunes (comme mécanisme d'adaptation). 

Il y a beaucoup de fil à retordre, et la façon dont Hawkins s'occupe de ses révélations varie: certaines sont ouvertes et déclaratives, certaines décontractées comme des vérités collatérales, et certaines restent entièrement non écrites, où le lecteur a tous les indices nécessaires pour tirer la conclusion logique sans la prise en main d'une révélation ponctuelle.

Il y a quelques faux pas qui ne touche en rien l'intégrité du récit. Les chapitres ultra-courts donne un rythme rapide, mais le changement brusque et arbitraire des points de vue peut compromettre la capacité des lecteurs à se plonger dans l'histoire. Cependant, la psychologie des personnages est super bien fouillée, on ne s'ennuie presque jamais et le dernier chapitre est un vrai feu d'artifice! Une superbe fin parfaite pour clôturer le suspens!



Verdict:


Je pense que ce livre fera moins de bruit que le précédent. Les fans vont le trouver moins flashy et, malgré le suspens, plus contemplatif et plus lugubre que le La fille du train. Moi je l'ai dévoré en à peine deux jours et je n'étais pas déçue malgré la crainte que j'avais au début. Je trouve louable que l'auteure n'a pas choisi la facilité, elle a pris du risque tout en montrant une rare capacité stylistique. Je suis très intéressée de voir ce qu'elle fera par la suite.



Extrait:

"J’ai cherché ce que j’allais pouvoir te dire en arrivant, je savais que tu avais fait ça exprès pour me faire du mal, pour me contrarier, pour m’effrayer, pour bouleverser ma vie. Pour attirer mon attention, pour me forcer à revenir. Alors bravo, Nel, tu as réussi : me voilà de retour dans cet endroit que je ne voulais plus jamais revoir, sommée de m’occuper de ta fille, et de remettre de l’ordre dans tout ton bordel."




mercredi 14 juin 2017

L'Homme-Feu de JOE HILL: un roman Brûlant!

Titre original: The Fireman
Maison d'édition: JC Lattès
Parution: 07/06/2017
700 pages
      

J'ai lu ce roman à sa sortie en VO (the Fireman) et c'est avec un plaisir renouvelé que j'ai relu la version française fournie par JC Lattès. Le fils de Stephen King frappe fort cette fois!


Quatrième de couverture:



Personne ne sait exactement quand et où cela a commencé.
Sur le corps des hommes et des femmes de magnifiques tatouages apparaissent et brûlent plus ou moins violemment les individus qui les portent… Boston, Détroit, Seattle… sont frappés. Il n’existe pas d’antidote.
Harper est une infirmière merveilleusement bienveillante. Le même jour, elle découvre qu’elle est enceinte et qu’elle est touchée par le virus. Paniqué son mari fuit.
Et dans ce monde en ruines où des micros sociétés se créent et des milices d’exterminations traquent les malades, Harper va rencontrer l’Homme-feu capable de contrôler le feu intérieur qui consume les humains. Ensemble, ils vont tenter de sauver une société terrorisée où chacun est prêt au pire pour tenter de survivre.
Une fresque aussi profonde que fascinante sur l’homme face à ses peurs vertigineuses et à sa puissance de vie.




Mon avis:


      La fin du monde est une des thématiques les plus récurrentes dans la littérature de genre, il y en a pour tous les goûts, un astéroïde géant, une invasion extraterrestre, un virus, les zombies (effet walking dead)...
Le divertissement étant dans le passage du pré-désastre d'ici aux horreurs de là-bas. Mais beaucoup de ces histoires portent un message "clandestin". Les contes de fin du monde n'existent pas seulement pour titiller et faire peur, mais pour porter un noyau de perspective avec le fun. 
L'effondrement de la civilisation est un des mécanismes préférés pour les écrivains qui veulent jeter la lumière sur les tréfonds de la nature humaine

Joe Hill est sorti des sentiers battus et a choisi un moyen ingénieux pour apporter sa vision apocalyptique. Draco incendia trychophyton est une spore aux propriétés inhabituelles. Des hiéroglyphes en noir parsemé de doré apparaissent sur la peau des personnes contaminés, qui ne tardent pas à s'embraser aléatoirement et spontanément sans aucun moyen de contrôler le feu. Cette affliction est appelée "écaille de dragon" et personne ne sait comment elle se transmet ni comment s'en protéger.

Harper Grayson, une infirmière scolaire, est une jeune femme simple et sans histoires. Elle est dévouée, gentille et ferme avec ses patients, son idole est Mary Poppins, elle mène une vie normale avec son époux Jakob jusqu'à l'avènement de la pandémie. Harper, motivée par son grand cœur et son envie d'aider se porte volontaire pour s'occuper des patients mis en quarantaine dans l’hôpital du coin (après la fermeture inévitable de l'école), où elle vit l'horreur au quotidien, le feu n'épargne personne et se fout des précautions médicales.

Harper et Jakob s'étaient promis de se tuer à l'apparition des premiers signes de la maladie plutôt que de se laisser brûler vifs. Mais quand elle a découvert sa grossesse, l'apparition des signes noirs et dorés sur sa peau devient un défi pas une peine de mort. Elle a vu des mères malades donner naissance à des bébés sains et elle espérait en faire partie. Malheureusement son mari avait d'autres plans et la pauvre se trouve traquée sans merci au plein milieu de l'horreur!

L'homme-feu du titre est John Rookwood. Sa première rencontre avec Harper était quand l’hôpital où elle travaillait s'est effondré. Il l'a sauvée de son mari et l'a emmenée vers un camps de survivants, où elle va découvrir que le l'écaille de dragon peut ne pas être une malédiction! John peut contrôler le feu des gens contaminés et maîtrise sa propre maladie! 

Ce livre peut avoir au moins deux degrés de lecture. En surface, c'est une aventure sci-fi/horreur palpitante, un page-turner excitant et effrayant. 
Harper est un personnage très attachant. Une femme enceinte fuyant des forces obscures, essayant au même temps de comprendre sa maladie et son sauveur. Une femme qui incarne la joie et la positivité dans cette ambiance glauque et désolante. Ajoutons à ça John, l'allié mystérieux et plein de pouvoirs et de secrets, des bons, des méchants, et plusieurs "entre les deux". Beaucoup d'action et une riche atmosphère, et le tour est joué.

Ceci dit, il y a plus. Ce n'est pas juste une catastrophe dans laquelle un groupe de survivants trouve un modus vivendi pratique dans l'ombre de l'horreur mondiale. 
Joe Hill ne cherche pas seulement à faire peur à ses lecteurs. Il veut offrir quelque chose de plus substantiel. L'homme-feu livre ce que la littérature "spéculative" a de meilleur: un regard dans la réalité contemporaine à travers une lentille de fantastique. 
On trouve une critique du fanatisme, du pouvoir des cultes, de l'hypocrisie des dirigeants, une guerre entre le bien et le mal avec une vision loin d'être manichéenne. Ce n'est pas sans rappeler le cultissime "Fléau" de Stephen King, en moins épique et plus brûlant.

Un roman qui vaut certainement le détour! Et si Joe Hill prépare une suite, et bien je serai preneuse!


Extraits:

"Bien souvent notre séjour sur terre est trop bref. Des gens vivent démunis, certains fuient la guerre et la famine. Une épidémie ici, une inondation là. Mais l'être humain a toujours trouvé la force de chanter. Le nouveau-né s'arrête de geindre lorsqu'il entend une mélodie agréable. Chanter, c'est donner de l'eau aux assoiffés, c'est avoir un geste tendre, c'est briller. La meilleure preuve de votre utilité en ce monde réside dans les modulations de votre voix et dans votre manière d'étinceler pour autrui. Les ignorants tombent et tomberont au cœur du brasier. [...]
L'égoïsme est un dangereux combustible. Quand vous accueillez celui qui a froid sous votre couverture, vous vous réchauffez tous les deux. Quand vous soignez le malade avec vos médicaments, sa guérison panse vos plaies. Un type beaucoup plus intelligent que moi a prétendu que l'enfer, c'était les autres. J'ajouterais pour ma part que l'enfer, c'est refuser par cupidité l'essentiel au nécessiteux. Ne perdez pas votre âme. Chérissez votre prochain ou bien vous marcherez sur les cendres, une allumette à la main."

"Les bourreaux trouvent toujours un moyen de justifier la monstruosité de leurs actes. Un petit massacre ici, une minuscule torture là. Ce qui était immoral en temps normal devenait moral en période de crise."